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Pourquoi je n'enseigne plus

Je n'ai jamais vraiment hésité dans mon choix de carrière. Secondaire, cégep... c'était pas mal clair pour moi que c'était l'enseignement. J'ai toujours aimé la présence des enfants. J'avais 14 ans et je donnais des cours de danse sur les heures de dîner une ou deux fois par semaine. À 15 ans, je donnais encore ces cours de danse en plus d'entrainer une équipe de cheerleading deux soir par semaine, et d'd'être impliquée dans mille et un comités. Prendre part à des groupes de discussion pour mettre sur pied des projets, j'adooore. Être débordée: j'adooooore et j'ai toujours adoré!


Finalement, j'avais tout ce que ça prenait pour aimer l'enseignement: de la patience, de la passion, une curiosité sans fin et un amour du contact avec les autres très puissant.


J'ai complété mes études avec la chance de faire mon dernier stage (le plus long) dans une toute petite école de campagne merveilleuse, avec une équipe d'enseignants formidables. Le rêve quoi! J'avais dont bien le sentiment d'être à ma place, dans ma zone, sur mon X, tout ce que vous voulez, mais j'avais la certitude d'avoir fait le bon choix de carrière.


Le stage terminé, les vacances d'été commencent. Je travaille des heures de fou dans un resto. Pas grave, c'est payant au max, je suis avec une gang que j'aime, je suis dans le jus et j'aime ça. De toute façon, je sais que c'est temporaire, puisque je ferai de la suppléance en septembre (j'ai plein de contacts et je pense humblement que je suis une bonne suppléante pour en faire depuis ma deuxième année d'université) et j'aurai même peut-être la chance d'avoir un contrat. J'ai un super bon lien avec le directeur de mon école de stage, qui lui a plein de contacts (parce que oui, même si vous entendez qu'il y a des règles strictes et un fonctionnement bien établi et JUSTE pour tous, eh bien non). Tu as 78676 fois plus de chance de te placer si tu as un bon réseau. Arriva ce qui du arrivé, j'ai reçu L'APPEL d'André pour m'offrir un contrat. Je suis aux anges. J'enseignerai l'éthique et culture religieuse, l'univers social, et les sciences aux élèves de 5e et de 6e, je serai une journée par cycle avec les petits au présco en plus de périodes aléatoires pour venir en soutien à l'enseignante et je ferai aussi du soutien pédagogique dans deux groupes deux périodes par cycle. J'ai également deux périodes d'univers social à enseigner dans une autre école (sous la même direction) et je m'occupe de l'équipe de cheerleading de l'école. WOW!! J'appelle mes amies avec qui j'ai étudié; on en revient pas. Je suis tellement chanceuse!!


Tout ça mis ensemble, je travaille l'équivalent de 5 jours aux deux semaines (des journées complètes, des demi journées, des périodes isolées. Bon.. ça me laisse peu de dispos pour de la suppléance, mais J'AI UN CONTRAT! Il m'en faut trois en quatre ans pour accéder à LA liste, espérer avoir ma classe à moi dans quelques années, et ma permanence dans une école dans quoi 8-9-10 ans?! (ça l'air fou, mais c'est ça qui m'attendais dans la commission scolaire que je convoitais quand j'ai fini mes études en enseignement). MAIS JE SUIS CHANCEUSE, J'ENSEIGNE!


L'année commence. J'ai mon petit bureau à l'étage dans lequel je peux mettre tout mon stock (croyez-moi, même sans être titulaire d'une classe, avoir autant de planif à monter, tu as besoin d'espace). Je suis chanceuse, car plusieurs ne l'ont pas et doivent gérer leur matériel avec des allées et venues dans leur voiture (les écoles débordent, même les éducatrices de service de garde n'ont plus de local!). Je revois les enseignants que j'ai côtoyés l'an dernier, mais ils sont maintenant mes collègues. Je revois les enfants. Ils ont tellement grandi, c'est génial de savoir que je passerai l'année à leurs côtés. JAMAIS je n'aurais quitté le milieu à cause des enfants. J'ai rapidement constaté que l'école est comme une deuxième maison pour les enfants: ils s'y expriment, y vivent toutes sortes d'émotions, y créent des liens affectifs si précieux et surtout tellement sous-estimés avec leur enseignant...


Alors voici comment se déroule ma vie professionnelle: j'enseigne la semaine selon mon horaire, je remplace au service de garde occasionnellement, je prépare et donne les cours de cheerleading et j'essaie de faire un peu de suppléance quand c'est possible (c'est pas facile, mais $$$$ que voulez-vous). J'ai beaucoup de planification scolaire à faire; avec ma tâche, je ne peux VRAIMENT pas improviser ou m'ajuster selon l'humeur des jeunes: j'ai une journée par cycle (par groupe) pour voir la matière à couvrir! Univers social de 5e, univers social de 6e, éthique et culture religieuse de 5e, éthique et culture religieuse de 6e, sciences et techno de 5e, sciences et techno de 6e, et mes ateliers pour le présco. OUF. Je travaille encore au resto le vendredi et le samedi soir, en plus du dimanche dans le jour. Puisque je fais peu de suppléance, je ne fais pas tellement de sous. Je vous rappelle que bien que j'aie beaucoup de tâches d'enseignement, lorsqu'elles sont mises toutes ensemble, je travaille 5 jours sur 10 au final....Mais bon ! J'AIME TELLEMENT ÊTRE OCCUPÉE! Je ne m'en plains pas.





J'ai un bon rapport avec les élèves, je les aime vraiment et j'ai une bonne gestion de classe. Nous arrivons à bien travailler ensemble. Toutefois, celles qui l'ont vécu comprendront: je suis la prof à temps partiel. Très partiel, on ne se voit presque jamais, même si je suis souvent dans l'école. C'est comme si j'étais une enseignante-remplaçante-habituelle. La gestion du temps est difficile, le programme lourd, et c'est sans compter que les magnifiques activités organisées par l'école tombent parfois sur mes journées d'enseignement.


C'est stressant. Tu sors de l'université, tu veux faire tes preuves, tu veux prouver que la direction a fait un bon choix en t'offrant le contrat à TOI. Parce que même si tu capotes, que tu trouves ça RUSHANT, t'es chanceuse d'avoir ce travail. J'ai appris beaucouuup de choses à l'université.......................... Mais combien me sont réellement utiles? Je ne répondrai pas pour ne pas manquer de respect à cette grande institution, mais la question se pose. J'ai des élèves avec des besoins particuliers (rien de majeur, mais quand même). Je suis plus ou moins formée pour gérer ces comportements, ET C'EST LÀ LE POINT. J'aime ces enfants, mais je ne sais pas quels sont les bons actes à poser dans des situations problématiques précises. J'ai eu des cours de gestion de comportement, mais c'est flou, et ce n'est pas magique! Je n'ai pas eu la formation en adaptation scolaire, et on nous met dans des situations où les classes deviennent des classes d'adaptation. Des classe qui viennent avec un nombre impressionnants de plans d'interventions pour lesquels un nombre de mesures qui lui aussi peut vous faire écarquiller les yeux sont prises pour aider l'enfant. C'est dur. C'est vraiment dur, surtout quand tu es dans la lignée des personnes perfectionnistes qui ne sont pas du type à se mouiller si elles ne sont pas en contrôle de la situation... Et là on parle d'être humains, pas d'une recette que tu vas rater si tu mets trop de sucre ou pas assez de farine. On parle d'enfants. Pas besoin de faire un certificat pour savoir que des gestes et des paroles inadéquates dans certaines situations peuvent avoir une incidence majeure dans la réaction d'un enfant.. même dans le long terme... Je ne veux tellement pas mal faire!


J'ai fini mon année que j'ai vraiment aimée. J'ai adoré mon expérience avec l'équipe-école. Chapeau aux enseignants, mais aussi aux éducateurs spécialisés, aux directions, aux éducateurs du service de garde, aux secrétaires.. c'est tellement un travail d'équipe extraordinaire. Je suis enceinte. Je me doute bien que je n'aurai pas mon contrat une deuxième fois, considérant que je quitterai en court d'année pour accoucher. J'ai ma rencontre bilan avec mon super directeur (un leader hors-pair). Nous discutons de mon expérience et il me fait part de mon évaluation. Il est content, donc je suis contente (évidemment haha). Je lui fais part de mes réserves quant à mon expérience. Comment suis-je supposée arriver à enseigner tout ce qui est prescrit dans le programme?, Clairement, c'est irréaliste. Comment dois-je choisir ce que j'enseigne et ce que je laisse de côté? Je ne peux pas parler pour les titulaires de classe, car je ne l'ai pas vécu, mais à une journée aux deux semaines, c'est complètement illusoire de croire qu'on peut voir toute la matière à couvrir. Comment je fais moi pour intervenir auprès d'un enfant qui se fâche FORT parce qu'il ne peut pas garder les feuilles d'automne qui partent au vent dehors? Ça semble banal, mais ça ne l'était pas pour cet enfant à besoins particuliers.... Nous avons une belle et enrichissante discussion pendant laquelle je comprends qu'on fait notre possible. Savez-vous combien c'est frustrant de faire notre possible quand tu sais que tu n'as pas les outils et les compétences pour y arriver? Ce n'est absolument rien de personnel envers les directions scolaires qui elles aussi font leur possible avec ce qu'elles ont.


Je vous donne un exemple: je vous demande de construire une maison. Les outils que vous avez en votre possession pour y arriver sont une fourchette et une chaudière trouée avec une montagne de sable. Vous allez probablement me dire: me niaises-tu? Et bien, faites votre possible.


C'est enrageant, décourageant, et hors de votre contrôle. Dans un contexte d'éducation, c'est triste, très triste. Que tous ces gens qui travaillent d'innombrables heures pour créer un environnement chaleureux, propice aux apprentissages et au développement individuel de chaque enfant qui entre dans l'établissement, ne soient pas reconnus à leur juste valeur et possèdent les outils adéquats dans l'exercice de leur travail...


Une école, c'est une mini entreprise où tout le monde doit mettre l'épaule à la roue pour que le fonctionnement soit efficace et optimal. Une école, c'est la deuxième maison des enfants. Dites-vous que si vos enfants sont bien à l'école, c'est grâce au climat que le personnel enseignant crée à l'année longue. Ils la portent tous à bout de bras. Vous le vivez en quelque sorte en ce moment avec la pandémie et vos enfants à la maison. Ce n'est pas facile. Multipliez par 20, 21, 22, 23, 24, 25 et parfois même 26.


L'ENSEIGNEMENT VIENT AVEC UNE RESPONSABILITÉ ÉNORME, SOUS-ESTIMÉE ET SOUS-RECONNUE. Enseigne ton programme, anime ta classe, suit les formations, assiste au plans d'intervention, corrige, REMPLACE TES COLLÈGUES QUAND ILS SONT ABSENTS PARCE QU'IL N'Y A PLUS DE SUPPLÉANTS, gère des conflits sur la cour de récré, gère des conflits qui viennent de l'extérieur de l'école pour lesquels les parents te demandent d'intervenir, implique-toi dans les comités (t'as jamais vraiment le choix), perds ton local sur les heures de dîner donc corrige dans la salle des profs, gère les médications des élèves................................


Mais c'est quoi ça? C'est supposé charmer la relève? De savoir que tes premiers contrats seront fort probablement des remplacements pour des départs en congé de maladie (lire ici ÉPUISEMENT PROFESSIONNEL)? De savoir que si tu es un(e) enseignant(e) avec une bonne gestion de classe, tu hériteras probablement des cas plus lourds pour éviter de ''brûler'' ta collègue du même niveau, parce qu'«on ne peut pas se le permettre»? Il y a fondamentalement quelque chose qui cloche.


Pendant que j'étais à l'université et que j'ai lu les articles disant qu'une proportion impressionnante des nouveaux enseignants abandonnaient le métier après moins de cinq ans de pratique, je me suis dis que je ne ferais jamais partie de ces chiffres. Je suis une passionnée, persévérante et ambitieuse. Je suis capable et quand je veux, je sais pertinemment que je peux.


Eh bien... le système aura eu raison de moi. J'aime toujours autant enseigner, j'ai la même passion pour ce que je fais aujourd'hui, mais j'aime trop les enfants pour le système actuel qui les incitent à ''fitter'' dans le moule. Que vous soyez d'accord ou pas, il existe ce moule. Ce ne sont ni les enseignants, ni les directions d'école qui l'exigent... C'est le système qui veut que tout soit fait trop vite, trop intensément, le tout de façon trop vague et trop lourde, au détriment de l'élément essentiel: la santé mentale et physique du personnel scolaire, donc indirectement au détriment des élèves. Ce même système qui brûle les enseignants, à bout de souffle et de ressources. On ne peut faire autre chose que de les comprendre.


Vous avez toute mon admiration Julie, Julie, Julie (en cas de doute, appelez une enseignante Julie, vous avez une chance sur 3 d'avoir raison), Karine, Karine, Karine (lui aussi il est populaire...) Camille, Carol-Ann, Patricia, Catherine, Catherine, Louise, Hélène, Annie, Claudia, Mélissa, Émie, Mélanie, Véronique, Andrée, Chantal, Caroline.... J'en oublie une tonne qui ont marqué mon cheminement, mais je pense à vous et vous remercie du dévouement sans fin dont vous faites preuve dans l'exercice de votre profession. Vous êtes merveilleuses et essentielles! Les hommes aussi, évidemment!


Je n'entrerai pas dans des longues explications, mais essayez de vous en rappeler quand l'école reprendra, et que les enseignants de vos enfants rapiéceront le casse-tête complexe créé par la crise que nous traversons actuellement. Pas de cadeau nécessaire... juste un petit mot, un petit remerciement, un geste de reconnaissance et d'appréciation. C'est la moindre des choses.


Je retourne attendre que la tempête covid passe pour retrouver mes petits cocos et qui sait, les préparer à peut-être intégrer vos classes un jour et avoir la chance de vous avoir comme enseignant(e) !


Marilou



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